La nouvelle dimension

Discours de Jocelerme Privert devant l’Assemblée Nationale

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on whatsapp
Share on telegram
Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on whatsapp
Share on telegram

Discours de Jocelerme Privert devant l’Assemblée Nationale

(Jocelerme Privert) Je prends la parole, aujourd’hui dans cette enceinte, au titre des exigences de l’article 151 de la Constitution, qui prescrit la délivrance d’un message du Président de la République, sur l’état de la Nation, par-devant l’Assemblée nationale, au deuxième lundi de janvier.

L’ouverture de la première session ordinaire de l’année 2017, vous en conviendrez, prend une connotation particulière au souvenir des aléas qui ont jalonné notre cheminement pénible à travers les ornières des incertitudes qui semblaient en passe de miner nos ambitions et nos espérances dans l’avenir de notre démocratie et la consolidation de l’État de droit au pays. Tout au long de l’année 2016, je n’ai cessé de marteler qu’un risque de dysfonctionnement menaçait l’ensemble des institutions républicaines en ce début d’année 2017, si des élections libres, transparentes, démocratiques et inclusives ne dotaient le pays d’autorités légitimes à tous les échelons du pouvoir.

Les défis pour y arriver étaient multiples. Au-delà même des défis matériels, financiers et infrastructurels – que j’évoquerai plus loin – le principal obstacle était celui de la confiance. Beaucoup d’acteurs, de décideurs et de partenaires ne croyaient pas possible d’opérer ce virage difficile, de réussir ce bond gigantesque et nécessaire vers la stabilisation de nos institutions et la pacification sociale et politique du pays. Aujourd’hui, cette rentrée parlementaire montre que le sursaut patriotique a vaincu le pessimisme, grâce aux vertus fécondes du dialogue, du travail, de la fermeté et de la détermination.

Mesdames, Messieurs,

Honorables Sénateurs et Députés,

Le Premier ministre Enex Jean-Charles vous a déjà exposé le bilan exhaustif de l’action gouvernementale. Je ne vais donc pas m’éterniser sur les résultats et performances sectoriels. En tant que chef de l’État, je m’attacherai surtout à rappeler à la Nation la situation du pays au tout début de l’année 2016, quand j’ai été élu par mes pairs pour assumer la magistrature suprême avec un mandat spécifique : la poursuite du processus électoral enclenché en 2015. J’évoquerai ensuite les principaux chantiers et les grands défis qu’il a fallu relever,  avec tact, doigté, dans une quête permanente du bien-être collectif. Je vous présenterai, enfin, les perspectives pour le pays en cette nouvelle année 2017.

TOUT D’ABORD, SUR LE PLAN POLITIQUE

Le spectre du dysfonctionnement des institutions républicaines, qui se profilait à la fin de l’année 2014, annonçait déjà que notre patrie était entrée dans une ère d’incertitudes et de turbulences. Les principaux acquis détenus par le peuple haïtien en votant massivement la Constitution de 1987, à savoir son bien-être matériel, l’Etat de droit et la démocratie, étaient compromis. Il fallait au plus vite apporter une réponse politique à cette ambiance délétère propice à toutes les aventures. Les échéanciers électoraux maintes fois repoussés devenaient de plus en plus nécessaires et indispensables.

Le 3 janvier dernier, le CEP a donné les résultats définitifs des élections du 20 novembre 2016, consacrant la victoire au premier tour de M. Jovenel Moïse en tant que 58e président élu de la République d’Haïti. Je saisis cette occasion pour le féliciter, encore une fois et pour lui souhaiter du succès dans le cadre des lourdes responsabilités qui l’attendent. J’ai d’ailleurs pris l’initiative, tout de suite après la publication des résultats consacrant sa victoire dans le journal officiel Le Moniteur, de lui proposer la mise en place immédiate d’une commission mixte de passation des pouvoirs, ce qu’il a accepté.

Je félicite également tous les autres élus issus de ces joutes et souhaite bonne chance aux candidats encore en lice.

VIOLENCE ET INSÉCURITÉ

La proclamation des résultats du premier tour de la présidentielle d’octobre 2015 avait été accueillie sur l’ensemble du territoire par des manifestations de rue accompagnées d’actes de violence, lesquelles se sont poursuivies jusqu’au mois de février 2016. Mon élection à la présidence provisoire du pays, l’ouverture des consultations avec les acteurs politiques et la formation de ce gouvernement de consensus ont permis un net ralentissement de ces manifestations et instauré une bénéfique atmosphère de paix et de stabilité. Les récentes contestations, à la suite du résultat des joutes du 20 novembre, n’ont jamais atteint l’ampleur ni l’impact que celles que nous avons vécues au début de l’année 2016.  Je tiens à féliciter, à ce propos, les forces de police qui, dans le respect du droit à manifester de chaque citoyen, ont su éviter des débordements majeurs.

LA SITUATION ÉCONOMIQUE : L’INFLATION ET LA CHUTE DE LA GOURDE

Dans un tel contexte, la gestion macroéconomique du Gouvernement et des dirigeants de la Banque de la République d’Haïti a été prudente et effective. Un simple coup d’œil au tableau des paramètres financiers et monétaires révèle le maintien d’une croissance de 1,4%, certes modeste, mais tout de même supérieure à celle de l’année précédente, et soutenue, pour la première fois depuis plusieurs années, par la production marchande dont l’agriculture — +3%, contre la forte chute de 5,4% accusée l’an dernier — et l’industrie manufacturière — +1,5%.

La croissance fut toutefois, sans surprise, pénalisée par la stagnation des secteurs du bâtiment et des travaux publics (0,2%), d’une part et, d’autre part,  par la faible croissance du sous-secteur  « commerce, restaurants et hôtels » conséquence de la prudence des investisseurs du secteur en raison de l’environnement politique incertain et instable.

La bonne gestion des finances publiques, caractérisée par la quasi-absence d’endettement additionnel de l’Etat central durant la seconde moitié de l’exercice fiscal 2015-16, depuis la signature du Protocole d’accord sur la Gestion de trésorerie entre le ministère de l’Economie et des Finances et la BRH, a permis d’échapper à la nécessité du financement monétaire du Trésor public par la banque centrale.

Les réserves internationales nettes de change de la BRH ont remonté fortement – de  US $767 millions en décembre 2015 à US $925 millions en décembre 2016 —  soit US $157 millions, tendance inaccoutumée en période électorale, où l’on s’attendrait plutôt à une pression sur les dépenses publiques conduisant subséquemment à l’utilisation des réserves de change pour contrarier les pressions inflationnistes.

Il importe de noter aussi le ralentissement notable du rythme de dépréciation de la gourde. D’une cadence annuelle de l’ordre de 40% durant la première moitié de l’exercice fiscal 2015-16, il est tombé à environ 13% depuis la fin du mois de mars dernier.

Paradoxalement, il n’est pas sans intérêt de mentionner les retombées positives de la dépréciation de la gourde, lesquelles, jointes aux incitations mises en place par la BRH au cours de l’année, ont eu la vertu de stimuler la compétitivité future des industries marchandes (exportation, agriculture et tourisme). En atteste la forte demande d’espaces industriels voués à l’exportation textile et les perspectives notables de création d’emplois de cette industrie au cours des vingt-quatre (24) prochains mois (près de 40 000 d’après les données de la SONAPI et de l’Association des industries d’Haïti).

L’OURAGAN MATTHEW ET LA SITUATION SANITAIRE

Haïti a été frappée au dernier trimestre 2016 par l’une des catastrophes naturelles les plus violentes depuis le séisme du 12 janvier 2010 ! L’ouragan Matthew a promené une fureur dévastatrice sur cinq (5) départements géographiques : la Grand ‘Anse, le Sud, le Sud-Est, les Nippes et le Nord-Ouest. Il y a laissé des plaies profondes et des stigmates encore béants. Les dommages et pertes sont évalués, selon un rapport de la Banque mondiale avec la participation des instances gouvernementales haïtiennes, à 1.9 milliard de dollars ! Au-delà de la destruction de l’habitat et des infrastructures routières, de nos écoles et de nos récoltes, l’ouragan a saccagé notre environnement, notre flore et notre faune. L’ensemble des conséquences néfastes de la catastrophe n’est guère encore totalement pris en compte, notamment la menace d’insécurité alimentaire qui guette les populations du grand Sud.

Il convient de souligner que le passage de cet ouragan destructeur a généré un exemplaire élan de solidarité humaine. Je saisis encore une fois cette occasion pour remercier l’ensemble des gouvernements, institutions et pays amis qui ont accompagné le peuple haïtien dans ces moments d’épreuve et de désolation. Je profite aussi pour rappeler que Matthew est toujours présent ! Les populations des zones affectées sont toujours en situation de détresse économique, de désarroi écologique et de grande précarité sociale.

LA REPONSE DU GOUVERNEMENT

Du côté du Gouvernement, nous avions conçu une réponse en deux (2) volets. Le premier adresse l’urgence humanitaire. Le deuxième couvre le redressement et la relève économique. Si au niveau de la réponse humanitaire nous avons reçu une part importante de l’aide d’urgence, nous n’avons pas pour l’instant bénéficié du soutien nécessaire pour les activités structurantes et durables du relèvement. Or, il est impératif d’agir sur ce volet pour réduire la vulnérabilité ambiante et augmenter la résilience des populations.

Par ailleurs, au-delà des actions ponctuelles envisagées ou improvisées, nous nous sommes rendus à l’évidence que nous n’avons pas œuvré suffisamment dans le sens de la sensibilisation et de la prévention. C’est dans cet esprit que le Premier ministre Enex Jean-Charles et moi ainsi que le cabinet ministériel avions décidé de faire du 12 janvier – date funeste dans les annales des catastrophes naturelles en Haïti –une journée nationale de réflexion et de sensibilisation sur les risques et vulnérabilités d’Haïti face aux catastrophes naturelles !

Cette année, la commémoration du 12 janvier ne servira pas seulement à honorer la mémoire des victimes du séisme de 2010 ! Elle va marquer, à travers divers évènements, célébrations œcuméniques et culturelles, une prise de conscience ainsi que la prise en charge de notre responsabilité de dirigeants par rapport aux menaces cycliques que font peser sur nous les catastrophes naturelles.

L’ANNÉE A VENIR

Je suis arrivé à la tête du pays en février 2016 dans un contexte d’explosion proche du chaos et de l’anarchie. L’avenir était sombre et personne ne savait vraiment de quoi serait fait le lendemain. Aujourd’hui, je me prépare à remettre, le 7 février 2017,  au nouvel élu, un pays politiquement apaisé et socialement plus serein, fort de la confiance retrouvée dans les institutions et dans les autorités.

Je formule le vœu que tous les déçus des résultats des joutes du 20 novembre 2016 fasse le grand sacrifice patriotique d’organiser une opposition pacifique, démocratique et constructive face aux nouveaux élus quel que soit leur niveau. Haïti doit être pour chaque citoyen, chaque citoyenne le candidat perpétuellement et indéfiniment gagnant.

Je suis en droit de m’enorgueillir d’avoir contribué à débarrasser l’horizon des lendemains des ombres néfastes de l’incertitude politique et du désarroi social. L’un de mes vœux les plus chers et les plus ardents pour Haïti et pour le Peuple haïtien est que les nouvelles autorités puissent bonifier cet héritage fragile pour désormais entrer dans un cercle vertueux de croissance et de confiance, de stabilité politique et de progrès économique, de dialogue permanent, de paix sociale et de démocratie.

DÉFIS ET PERSPECTIVES

L’un des premiers défis que la Nation haïtienne doit relever en cette nouvelle année 2017 est celui de l’Unité et de la Réconciliation nationales. Cet appel a constitué le cœur de mon message le 1er janvier, jour de l’Indépendance nationale. Il l’a aussi été le 2 janvier, jour des Aïeux. Aujourd’hui encore, en cette date solennelle qui marque la rentrée parlementaire, et compte tenu du rôle prépondérant que vous jouez, Honorables parlementaires, dans le maintien de la stabilité politique tant recherchée, je considère encore opportun de réitérer ce message d’unité nationale et de pardon réciproque.

Laissons de côté les petits intérêts partisans, faisons taire nos querelles de chapelle, et pensons au bien commun, pensons à la collectivité. Haïti reste et demeure notre seul héritage commun, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse. Il est temps de se rendre à l’évidence de cette inéluctable réalité et donc, de s’unir, de se donner une main fraternelle, pour qu’il y fasse bon y vivre, y travailler et se recréer dans le pardon et la convivialité.

Le deuxième défi de taille à surmonter en 2017, et au-delà, est celui de la cohésion sociale. Un pays où il fait bon vivre, un pays apaisé est celui où il y existe des égales opportunités d’accès pour tous aux biens et aux services publics, à l’éducation, à la santé, au travail et au loisir. Cette égalité de chances pour tous constitue le ciment de la cohésion sociale. Notez que ce défi n’incombe pas seulement à l’Etat. Nous devons le relever ensemble, le secteur public en conjonction harmonieuse avec le secteur privé !

Le troisième défi important engage la construction une fois pour toutes d’un projet de société cohérent, dynamique et inclusif. Haïti a définitivement besoin d’un pacte social rénové. Quels sont les faits d’armes ou les prouesses dont nous pourrons nous vanter et être fiers? Qu’est ce qui nous fait vivre ou survivre depuis longtemps ? Qu’est ce qui nous fait vibrer et rêver ensemble comme Nation? Jusqu’ici, nous nous cantonnons à évoquer l’épopée incomparable de nos Aïeux ! Oui, c’était exceptionnel. Oui, nos ancêtres les Pères fondateurs de la Nation étaient des visionnaires. Oui, Haïti était humaniste avant la lettre. Mais, c’était il y a 213 ans ! Et depuis, qu’avons nous fait pour mériter de nos ancêtres? Qu’avons-nous fait pour sortir de la léthargie, de la misère et de la pauvreté ? Qu’avons-nous fait pour éviter d’être affublé de ces épithètes peu flatteuses de pays « failli » ou de pays « fragile » ?

Honorables Sénateurs et Députés, Peuple haïtien, si un pèlerinage périodique  dans le passé fournit les ressources pour alimenter les rêves et ambitions du présent, pour façonner le lendemain, le regard positif et conquérant doit être tourné vers l’avenir. Nous regardons trop souvent en arrière et pas assez en avant. A part les États-Unis d’Amérique, tous les autres pays du continent américain ont acquis leur indépendance après Haïti… Aujourd’hui il est grand temps pour nous d’effectuer une sincère introspection, et de se regarder l’un l’autre dans les yeux pour se demander – sans malice – ce que nous avons fait d’un tel exploit !

Pour finir j’évoque un quatrième défi à affronter. C’est celui de notre relation au temps ! Nos actions s’inscrivent trop souvent dans le court terme. A agir de la sorte, nous donnons des signes de grande fébrilité, qui ne font que dénoter notre myopie politique et administrative. Le propre des dirigeants est de savoir se projeter dans le temps. Il faut anticiper les évènements à venir : la croissance démographique, la diminution des sources d’énergies fossiles, la transformation de la société, l’économie du numérique, les nouvelles technologies ou le dramatique phénomène des migrations suivi de rapatriements humiliants. Nous sommes trop à la traîne ! Nous sommes trop souvent en retard, au sens propre comme au sens figuré. Nous sommes trop souvent surpris par les changements et les bouleversements qui s’opèrent dans notre environnement immédiat et dans le monde ; ces retards de diagnostic et d’anticipation limitent et compromettent irrémédiablement nos capacités de réaction et d’adaptation, et nous empêchent de rebondir de façon opportune.

Nous ne pouvons pas continuer à gérer Haïti au jour le jour, au gré des maigres recettes fiscales. Haïti a besoin de se relever, de regarder vers l’avant, de se projeter dans l’avenir, sur le plan national, régional et international, pour innover et prendre des décisions cohérentes, porteuses d’espoir et de progrès social. Haïti a besoin de responsables politiques, d’hommes d’affaires, de leaders étudiants, de leaders paysans fermentent engagés dans la construction d’une Haïti prospère, juste et démocratique.

Honorables Sénateurs, Honorables Députés,

Décideurs politiques, élites économiques, et intellectuelles, paysans et paysannes, Responsables de la société civile, Haïtiens, Haïtiennes,

Si nous avons le courage et la lucidité de relever ensemble ces défis, si nous pouvons prendre notre destin en main, alors nous pourrons illuminer les horizons de demain, je veux dire ceux de 2017, des années à venir et des prochaines décennies.

C’est ainsi que les générations futures pourront s’inspirer de notre comportement, de nos exploits collectifs, de notre testament politique commun, pour nourrir leurs aspirations et leurs ambitions à vivre dans l’unité nationale vers la conquête de l’avenir.

Tel est le souhait le plus ardent de mon cœur de patriote et de chef d’État, fier d’avoir fait partie du paysage politique de mon pays et très fier d’avoir  réussi l’exploit de juguler la perspective sombre d’un vide institutionnel et rétabli l’ordre républicain, et ceci grâce au concours de vous tous et de la Nation. 

Vive le Peuple haïtien,

Fructueuse année de travail législatif au service de la Nation haïtienne.

Je vous remercie.

Jocelerme Privert

Président

Facebook Comments

A lire aussi...