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Haïti-culture : la sculpture en Haïti au XXe siècle : la ferronnerie d’art, les «asseins»

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Haïti-culture : la sculpture en Haïti au XXe siècle : la ferronnerie d’art, les «asseins»

Avant les vacances d’été, nous avions abordé la sculpture haïtienne, telle qu’elle a été créée par les artisans de la ferronnerie. C’est ainsi que nous avons pris en considération les croix, notamment celles créées par Georges Liautaud qui, découvert par les dirigeants du Centre d’art, ont fait de lui cet artiste forgeron qui a fait de sa ville natale un important lieu de création dans le pays.

Revenant à ces considérations sur la ferronnerie d’art, il faut rappeler le fait que, à la fin des années quarante, l’héritage africain représentait un des arguments majeurs pour expliquer l’art haïtien issu des couches populaires.    Michel Philippe Lerebours nous dit que José Gomez-Sicré, le critique cubain, qui travaillait au Musée de la Panamerican Union à Washington DC, avait même invoqué “un certain atavisme”. Dans la brochure de l’exposition Liautaud organisée à ce Musée en 1960, un texte, très probablement de Gomez-Sicré, décrivait les œuvres exposées comme «une transplantation directe de l’Afrique en Amérique».

Ce lien avec l’Afrique existait indéniablement, non seulement au niveau des croix comme on l’a vu, mais aussi au niveau de sculptures anonymes de taille variable, figuratives pour la plupart, mais abstraites quelquefois.  Ce sont des objets associés au culte vaudou, des «asseins» dont certains ont été fort heureusement sauvés lors de la campagne de «rejeté».  Ils sont aujourd’hui conservés dans des collections haïtiennes publiques et privées.    L’anthropologue haïtien Louis Maximilien en parle et précise qu’on les trouvait fichés en terre autour de l’autel le Pé. Alfred Métraux les rattache à l’Afrique comme l’a fait un autre anthropologue haïtien, Milo Rigaud. Ces sculptures, en dehors de leurs fonctions religieuses, sont de véritables œuvres d’art réalisées avec une liberté évidente à partir de modèles africains, comme on peut le voir sur cette image mettant côte à côte une sculpture haïtienne en fer de la collection du Bureau national d’Ethnologie et un bronze du Mali.

C’est probablement dans cette tradition que Georges Liautaud a créé tout un ensemble de statuettes représentant, pour la plupart, des divinités du vaudou.   Le matériau est le fer mais plus spécifiquement celui de clous de rails auxquels il avait accès, travaillant comme forgeron pour le système des voies ferrées de la HASCO. Les clous de rail, qui de par leurs dimensions ont déterminé celles de ces statuettes, étaient alors forgés et laminés. Ces petites sculptures sont simples ou très élaborées mais, dans tous les cas, elles prouvent l’ingéniosité de l’artiste, et ceci particulièrement au niveau des moyens mis en œuvre pour que la figure tienne debout, seule.

Le «Marassa» de Liautaud est parmi les plus simples. La partie supérieure du clou est coupée en deux pour en faire deux têtes sur lesquelles trois formes, marquées au poinçon, représentent les yeux et la bouche. La partie centrale du clou est aplatie et représente le tronc que partagent les deux figures. Celles-ci partagent aussi une jambe et un pied poussés vers l’arrière de manière à assurer une certaine stabilité à la pièce lorsqu’elle est en position debout. Vu de profil, et c’est peut-être ce qu’a recherché l’artiste, chacun des jumeaux a son tronc et ses deux jambes. Sans le savoir, Liautaud a utilisé un procédé qui rappelle celui mis en œuvre dans la représentation du taureau ailé androcéphale de la porte du palais de Sargon II à Dour-Sharrowkin, merveilleux exemple de reliefs assyriens du  VIIIe siècle av. JC.

Son «Kabrit deux têtes» est parmi les plus complexes. Il est fort probable, vu l’ampleur de la pièce, qu’elle ait nécessité l’utilisation de deux clous.  C’est une pièce puissante. Elle sollicite le spectateur, quel qu’il soit, afin qu’il donne un sens à cette image qui se situe dans un espace à la fois cocasse et insensé. À nous Haïtiens, elle peut paraître familière, issue de contes populaires, inoffensive et même belle. Elle peut, par contre, représenter quelque chose que, pour des raisons diverses, il faut occulter. C’est une œuvre qui, par conséquent, suscite des sentiments d’adhésion ou de répulsion, ce qui fait sa force. Contrairement au «Marassa», qui est quelque peu figé, le «Kabrit deux têtes» est doté d’un certain dynamisme. Saisies dans un mouvement, les têtes bien moulées et les pattes de devant semblent pouvoir bouger. Liautaud, soucieux que l’œuvre tienne debout, a donné à cette sculpture un pied incliné à l’arrière pour en assurer la stabilité.

Les considérations faites dans le cas du «Kabrit deux têtes» ne s’appliquent pas à la «Sirène Diamant». S’il est vrai qu’elle représente une divinité vaudoue, elle a quelque chose de familier, d’universel, de par sa forme féminine et cette élégance qui peut charmer et ainsi réduire les barrières défensives.

La tête du personnage, avec les traits du visage bien marqués, sa coiffure remontée et l’ornementation de cette coiffure sont les seuls éléments traités en volume dans la conception de cette figurine. Bien que représentant la sirène, Liautaud a pris toutes les libertés puisque, dans son iconographie, cette divinité des eaux a les longs cheveux lâchés sur le dos et les épaules.  Le corps ici est plat et seuls les seins sont mis en relief. Les bras s’étendent de manière asymétrique dans l’espace suggérant ainsi le mouvement. Afin de mieux retenir le spectateur déjà séduit, Liautaud a introduit quelques détails intéressants : Il a, entre autres, habillé sa “Sirène” d’un vêtement qu’il a perforé le long du contour et aussi dans la partie inférieure pour définir la queue de poisson qui est caractéristique de ce personnage extraordinaire. Deux disques qu’elle tient dans les mains sont également perforés de petits trous. Sans être physicien, Liautaud avait découvert l’effet de scintillement que peut provoquer la lumière qui passe par un orifice de petite dimension. Il l’a mis à profit ici pour fasciner le spectateur qui, dès lors, pourra trouver une justification au mot diamant ajouté au titre de l’œuvre. La plaque sur laquelle est inscrit le corps de la Sirène se prolonge par un appendice qui s’enroule pour créer une base permettant à la sculpture de tenir debout.

Gérald Alexis

Source : Le Nouvelliste

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